Pages

Ads 468x60px

vendredi 13 juillet 2012

Ciné tardif : Faust, de Alexander Sokurov


On y va modestement. N'étant pas un familier du réalisateur, il me manque sans doutes certaines clefs d'entrée de jeu, même si son travail ne m'est pas inconnu ; à l'époque, le concept de L'Arche Russe était intriguant et je regrette de ne pas avoir tenté l'aventure quand on pouvait encore voir la chose sur grand écran : le film est un plan-séquence de 96 minutes à travers le musée de l'Ermitage à Saint-Petersbourg, retraçant une histoire de la Russie par l'entremise d'un narrateur. De même, j'imagine que ne pas avoir vu les autres films de la tétralogie que Sokurov a consacré "au pouvoir et à la corruption" ne va pas faciliter une pleine compréhension cohérente de son travail, d'autant que Faust en est l'apogée. Mais on a quand même le droit de vouloir essayer.

Reprenant dans les grandes lignes la trame du roman de Goethe, le film traite à sa façon de la quête de savoir du Dr Faust, savant de son état, homme de chair et de sang obsédé par la paix de l'âme (la sienne ?), amené à faire une bien étrange rencontre.
D'entrée de jeu, il est difficile de concevoir le travail techniquement hallucinant effectué sur le film.  Celui-ci promet dès son ouverture une plongée morbide et hallucinée sur une triste condition humaine, contenue toute entière en quelques plans. Toute cette expérimentation à l'écran donne envie d'en savoir plus : comment travaille le réalisateur, quelles sont ses visions, à quelle logique répond-il ? Au sein de son film s'y bousculent des interrogations métaphysiques, des brins de rhétoriques, une logorrhée verbale incessante, des percées sombres et grotesques, un balancement lancinant entre les murs d'un village vert-de-gris. Une expérience de cinéma terriblement exigeante.

De déambulations labyrinthiques en rencontres diverses et originales, le film devient facilement éprouvant, passé un moment où la perplexité peut poser un frein à la surprise de la découverte. Le film surprend par les partis-pris esthétiques du réalisateur, ces moments de flottements où la lumière courbe les images, qu'elles soient en surexposition, accompagnée d'un filtre ou en ralenti extrême. Le tout, dans un format presque carré pas loin du 4/3 : des choix à l'opposé de la grammaire cinématographique actuelle, dans un refus total d'intransigeance. Les images distordues préfigurent peut-être certains moments de "passages", où communiquent deux univers, ceux de Faust et de son compagnon, tout comme Sokurov nous guide dans un autre espace-temps. La direction d'acteurs est d'une étrangeté incomparable, chacun semble virevolter autour de l'autre, en mouvements permanents grâce aux travellings compensés. L'acteur Anton Adasinskiy compose un personnage parfaitement inquiétant et tout aussi dément, en usurier maléfique, homme immonde se repaissant du malheur des autres.

Il y a ce recours à une forme de narration si absconse qu'elle en enlève beaucoup de plaisir tout autant qu'elle sidère et interroge constamment le spectateur, venu se perdre plus profondément qu'il ne s'y attendait. Il s'y développe une forme de cinéma totalement alternative et incroyable où le lucidité des plans ou des réactions des personnages sont un appel permanent à la réflexion. Le film est extrêmement bavard, et les paroles engagent les personnages bien en amont, les séquences s'appellent et se répondent dans des valses parfois grotesques et terrifiantes.
La liberté de mouvement du cadre est incroyable. On dirait que sans difficultés, le réalisateur et ses techniciens créent des plans bien agencés, avec une rigueur et une patience infinies. La photographie est orchestrée par le français Bruno Delbonnel, dont on retiendra le nom pour ce travail très étrange où un Moyen-Âge ténébreux tâche de s'extirper de son marasme. Le dédale d'effets visuels créée nous entraînent dans une réalité fantasmée, où les partis-pris et les apparitions les plus improbables, expérimentales ou renvoyant directement à l'imaginaire de mythes et légendes passent avec délicatesse. On est parfois frappé de stupeur devant le naturel avec lequel Sokourov entraîne son monde damné, d'un seul souffle malgré l'attente.
En l'état, Faust est un film hallucinant, épuisant, incroyable et irritant, qui à le mérite de donner envie d'en savoir plus sur la filmographie de Sokurov, si on débute un peu tardivement.

Bande-annonce :

0 commentaires: